le 27 juillet 2019 à Tusnádfürdő (Băile Tuşnad, en Roumanie)

Bonjour à tous !

Mesdames et Messieurs, chers amis,

En un mot comme en cent, je peux dire que cela a été un grand honneur pour moi d’avoir pu être ici pendant trente ans avec vous, dans cette Université d’été. C’était un honneur pour moi d’avoir pu prendre la parole aux côtés de M. le Pasteur Tőkés, pendant ces trente années. Je voudrais en profiter pour exprimer ma reconnaissance à M. le Pasteur pour ses longues années de service au Parlement européen. Je voudrais le remercier de nous avoir assumés, et d’avoir représenté, sous les couleurs du Fidesz, l’universalité des Hongrois. Et je voudrais aussi – puisque nous avons eu des élections européennes – saisir cette même occasion et féliciter le RMDSZ [l’Alliance démocratique des Hongrois de Roumanie, NdT] pour les deux sièges qu’il a obtenus. J’ai moi-même pris part à sa campagne, et je connais les circonstances incroyablement difficiles dans lesquelles ce résultat a dû être obtenu.

Zsolt [Zsolt Németh, président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement de Hongrie, organisateur de l’Université d’été, NdT] m’a fait savoir que je devais résumer en vingt minutes… bon, s’il le faut vraiment, en vingt minutes, les trente années qui viennent de s’écouler. Une phrase peut y suffire, l’on n’a même pas besoin de vingt à trente minutes. Et cette phrase, la voici : ce qui est heureux, c’est que ces trente années sont derrière nous, et pas devant.

Si nous faisons l’effort de nous rappeler ce qu’était notre tâche il y a trente ans, nous pouvons répondre quelque chose comme ceci : trouverons-nous – et la découvrirons-nous, si elle n’existe pas – la recette qui permettra d’assurer la conservation dans l’ère moderne de cette communauté millénaire qu’est la nation hongroise ? C’était une question très difficile et très angoissante. Cela ne nous a pas empêchés, bien sûr, de vivre pendant trente ans une vie juvénile et heureuse, et nous pouvons dire, trente ans après, que nous nous retrouvons ici, ensemble, dans la confiance, avec des projets pleins notre besace, avec le vécu quotidien de notre renforcement, et que cet état psychologique nous semble naturel. Mais si nous prenons un peu d’altitude pour considérer ces trente années, nous devons reconnaître que c’était loin d’être naturel, que ce n’est pas un état naturel, mais bien plutôt un miracle. Quelle était la tâche ? D’abord gagner l’indépendance et la liberté du pays. Nos années d’étudiants y sont passées, puis les deux années comprises entre 1989 et 1991. Ensuite la tâche a été d’installer une économie de marché capitaliste à la place de l’économie planifiée socialiste. Et, dans l’intervalle, de bâtir un système institutionnel démocratique, juridique et politique. C’est ce que nous avons fait entre 1990 et 1994. Appelons cela un premier « changement de régime »1. Appelons cela un changement de régime libéral. Ensuite, nous avons eu pour mission de vaincre – dans un combat politique, d’une manière pacifique, donc sans guerre civile – les rémanences du régime socialiste. Et puisque ces rémanences étaient également internationalistes, il nous a également fallu les vaincre sur la scène internationale. C’est à cela que nous avons consacré notre vie entre 1994 et 2010. C’était la mission de notre génération. Il apparaît naturel aujourd’hui que cela ait réussi, mais une génération peut aussi connaître des drames dans la vie politique : c’était le drame du SZDSZ2, et rendons grâce au Bon Dieu que nous n’avons pas connu son sort. Je voudrais rappeler à tout le monde qu’en Hongrie, au moment où la transition démocratique – le premier changement de régime libéral – est survenue en 1990, cette génération de soixante-huitards ne s’est pas vu confier le gouvernement, donc les moyens d’agir, parce que c’est une génération plus âgée qui est arrivée aux affaires, sous la conduite de József Antall3. Lorsqu’ils eurent estimé qu’après un gouvernement d’inspiration nationale qui n’avait pas connu le succès leur heure était arrivée, ils ont à nouveau échoué à accéder au pouvoir parce que c’est Gyula Horn4 et ses acolytes qui sont revenus. Puis, lorsque ces derniers eurent à leur tour connu l’échec et perdu la confiance publique, ils ont pensé que c’était maintenant vraiment leur tour, mais là c’est nous qui avons formé le gouvernement, en 1998. Et lorsqu’en 2002 nous eûmes mis en place une collaboration nationale citoyenne et démocrate-chrétienne, leur génération politique avait passé son temps. Un vrai drame. Rendons grâces au Bon Dieu de ne pas nous avoir réservé leur sort !

Revenons maintenant aux trente années passées et à nos missions. Une fois passé le premier changement de régime libéral et une fois vaincues les rémanences socialistes, nous avons dû nous atteler à la préparation d’un second changement de régime. Disons que nous avons consacré les années 2006-2010 à l’élaboration des plans d’un changement de régime d’inspiration nationale. Et ensuite, en 2010, il a fallu mettre en œuvre ce nouveau système, qui est un système basé sur la communauté. Plus précisément, il a fallu préparer la victoire politique nécessaire à sa mise en œuvre, et la remporter. C’est ce qui a produit nos résultats de 2010, avec l’obtention d’une majorité parlementaire des deux-tiers. Par la suite, après 2010, nous avons dû bâtir pas à pas ce nouveau système d’inspiration nationale, de manière à le conduire au succès tout en maintenant et en renouvelant notre soutien populaire. Je pourrais dire que nous avons vécu les neuf à dix dernières années avec la truelle dans une main et le sabre dans l’autre. Il a fallu construire tout en luttant en permanence, parce que – et cela aussi a marqué nos dix dernières années – nous avons dû faire face à la mise en question continuelle de l’acceptation internationale de notre système, et repousser les assauts menés dans le cadre de cette mise en question. Voilà donc, Zsolt, ce qu’ont été nos trente dernières années. L’on peut se demander rétrospectivement si nous serions capables – redevenant tout d’un coup jeunes – de parcourir à nouveau ce chemin plutôt malaisé ? Y aurions-nous eu, de nouveau, trente années d’énergie ? C’est une vraie et difficile question. Je n’en connais pas non plus la réponse. Ce genre de réflexion relative au passé est en général toujours risqué. Juste pour vous montrer à quel point il est risqué : le jour de notre trentième anniversaire de mariage, j’ai demandé à mon épouse – puisqu’il est d’usage, en cette occasion, de lui redemander sa main – ce qu’elle en pensait : un instant bien romantique, et elle a répondu : ne prends pas de risques !

Oui, et à la question de savoir si nous serions capables de refaire tout cela encore une fois, la réponse est tout autre que facile. Mais ce n’est peut-être même pas l’essentiel. L’essentiel est de savoir si nous aurons la force de vivre les quinze prochaines années. Mais que seront ces quinze prochaines années ? Quelles seront nos tâches pendant ces quinze prochaines années ? L’étude des générations nous apprend que la vie humaine comprend trois âges : l’enfance, où l’on rêve à ce que l’on voudra faire quand on sera grand ; la vieillesse, où l’on médite sur la manière dont les choses se sont passées et sur ce que l’on a manqué ; et entre les deux, l’âge adulte et celui de l’action. C’est l’âge le plus précieux. On le sait bien dans le monde des médias, cela s’appelle le prime time, le temps essentiel, et cela ne s’applique pas seulement à la vie de l’homme, mais aussi à celle de toute une génération. C’est l’époque pendant laquelle on réalise les choses les plus importantes. De cet âge, qui est compris quelque part entre 35 et 70 ans, nous avons déjà consommé la moitié. La seconde moitié vient maintenant, c’est le grand film du soir. La question est : qu’allons-nous voir ?

Si nous abordons cette question sous l’angle philosophique, Mesdames et Messieurs, nous connaissons l’affirmation selon laquelle l’histoire a un sens, que la mission de l’homme est de le reconnaître et de faciliter l’évolution de l’histoire en direction de ce sens. C’était en gros la logique communiste, et aujourd’hui ce sont les libéraux progressistes qui tiennent un langage similaire. En ce qui nous concerne en revanche, nous avons appris au cours des trente dernières années que ce n’est pas au temps qu’il faut donner un but, mais que c’est à notre propre vie qu’il faut donner un sens à l’intérieur du temps. Et ce n’est pas seulement vrai pour l’individu, mais aussi pour une génération. Il faut donner un sens à la vie de notre génération, c’est-à-dire que nous devons comprendre le sens qui nous est imparti. Si je regarde d’ici ce qui est derrière nous, et aussi ce qui est devant nous, je peux dire que notre génération a reçu en partage une opportunité historique : le renforcement de la nation hongroise. Nous avons derrière nous un combat injustement difficile, et un combat tout aussi injustement difficile nous attend. Notre seule consolation est qu’il est écrit : nul ne sera mis à l’épreuve au-dessus de ses forces. Nous n’avons donc à porter sur nos épaules que des charges que nous sommes capables d’assumer. Je peux vous déclarer que la nation hongroise a aujourd’hui en sa possession les capacités politiques, économiques et – bientôt – physiques grâce auxquelles elle pourra se défendre et grâce auxquelles elle pourra sauvegarder son indépendance. Nous avons recouvré notre autodétermination, le FMI est rentré chez lui, nous avons mené avec succès notre lutte face à Bruxelles, et nous avons protégé nos frontières contre la migration.

Cela étant dit, Mesdames et Messieurs, après cette rétrospective des trente dernières années, je peux aujourd’hui aborder devant vous deux sujets. Le premier : ce qui se passe, et ce qui va se passer en Hongrie ; et le second, une question encore plus passionnante – et là Zsolt devra me rappeler au respect du temps de parole – : comment nous interprétons, et comment les autres interprètent ce qui se passe en Hongrie.

Que signifie donc tout ce qui se passe en Hongrie ?

La Hongrie, Mesdames et Messieurs, se trouve aujourd’hui sur une trajectoire prometteuse : ses finances publiques sont en ordre, son endettement est en baisse, sa croissance est forte, les salaires augmentent, les petites et moyennes entreprises sont de plus en plus solides, les familles sont en progression, la construction de la nation se poursuit avec d’entrain. Bien entendu, l’on peut et l’on doit faire mieux : les citoyens hongrois individuellement, les entreprises hongroises et le gouvernement hongrois peuvent et doivent travailler mieux encore. Mais la vérité est que le maintien de la Hongrie sur cette trajectoire prometteuse n’est pas menacé aujourd’hui de l’intérieur, mais plutôt de l’extérieur. Et ce qui se passe aujourd’hui en Hongrie, c’est que ces menaces qui pèsent sur l’année qui va s’écouler d’ci à notre prochaine rencontre, nous allons les écarter, et nous efforcer d’en protéger la Hongrie.

Que sont donc ces menaces ? Nous avons déjà réussi à écarter la première. Elle aurait consisté en ce que des personnages inaptes et hostiles soient choisis à la tête des institutions européennes qui revêtent pour eux de l’importance. Je ne donnerai pas davantage de détails sur ce qui s’est effectivement passé, mais il est de fait que grâce à des manœuvres compliquées il a été possible d’écarter ce danger. Nous avons réussi à mettre un croc-en-jambe à tous les candidats de George Soros. Partout. Nous avons empêché que des guérilleros idéologiques soient placés à la tête des principales institutions européennes, et il a aussi été possible d’élire à la tête de la Commission une mère de sept enfants d’esprit pragmatique. Cela ne signifie évidemment pas la fin de la lutte à l’intérieur des institutions, qui ne s’achèvera qu’en octobre lorsque le paysage tout entier sera visible. Mais nous pouvons affirmer deux choses avec certitude. La première est que la Commission, qui a attaqué la Hongrie à tant de reprises – et qui a même, à l’extrême fin de son mandat, renouvelé ses attaques en déférant ces tout derniers jours à la Cour de Justice un certain nombre de lois hongroises – doit revenir à son rôle défini dans le Traité constitutif de l’Union, c’est-à-dire qu’elle doit se comporter en gardienne des Traités et mettre fin à son activisme politique. La Commission n’est pas un corps politique, elle n’a pas à avoir de programme, elle n’a pas à lancer d’attaques politiques contre les Etats-membres. C’était le cas du temps de la précédente Commission Juncker. Il faut y mettre fin. Ce comportement a toujours été contraire à l’esprit comme à la lettre des documents fondateurs de l’Union européenne. Il y a maintenant une chance pour que cela change.

Et la seconde affirmation que je peux faire, c’est que le système du Spitzenkandidat n’a pas été enterré, mais qu’il est simplement revenu à sa juste place. Car il est clair que ce n’est pas la Commission qui détermine les orientations politiques stratégiques de l’Union européenne, mais les dirigeants démocratiquement élus – chefs d’Etat ou de gouvernement – des Etats-membres. La Commission n’a pas à exécuter de programme indépendant, parce que le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement a dès maintenant, à l’issue des dernières élections, adopté un document la concernant qui détermine la ligne à suivre, et que d’une manière générale ce n’est pas à la Commission, mais au Conseil européen, où siègent les chefs d’Etat et de gouvernement élus, que sont prises les décisions stratégiques. L’esprit du système du Spitzenkandidat n’a donc jamais consisté à ôter au Conseil le droit de désignation du président de la Commission – que d’ailleurs le Traité fondateur lui attribue expressément –, mais au contraire à permettre aux électeurs d’influencer l’attribution de telle ou telle position européenne majeure. La logique veut donc – et c’est à cela que nous devons revenir – que si les partis européens présentent un Spitzenkandidat, le président du parti vainqueur devienne le président du Parlement. Pas le président de la Commission, mais celui du Parlement européen. Quant à la Commission, il faut la laisser comme un organisme placé sous l’influence des chefs d’Etat et de gouvernement.

Le second danger qu’il nous faut écarter est celui qui vient des milieux internationaux. Il s’agit de la circonstance qui a fait qu’au cours des cinq dernières années de graves erreurs ont été commises au sein de l’Union européenne, dont deux ont été particulièrement douloureuses et inquiétantes. Ces erreurs doivent être corrigées dans les cinq années qui sont devant nous. La première a été commise sur le terrain de la migration, et la seconde, sur celui de l’économie. La correction de l’erreur en matière de migration est très facile : la Commission doit se retirer de cette problématique. Il faut mettre en place un conseil des ministres de l’Intérieur des Etats membres de l’espace Schengen, sur le modèle exact du conseil déjà existant des ministres des Finances de la zone euro. La totalité des compétences liées à la migration doit être rassemblée entre les mains de ce conseil des ministres de l’Intérieur. La question de l’économie est un peu plus complexe, parce qu’au vu des décisions de l’Union européenne en matière d’économie nous pouvons dire que depuis cinq ans nous parcourons la voie de l’auto-diminution : l’Europe pourrait être beaucoup plus efficace, beaucoup plus grande, beaucoup plus développée et beaucoup plus forte que ce qu’elle produit aujourd’hui comme résultat. Au lieu de la construction d’un socialisme européen – car les partis de gauche présentent régulièrement des propositions visant à faire de l’économie européenne compétitive, dans chaque Etat-membre, une sorte d’économie socialiste à la mode de l’Europe occidentale – il faut faire retour à l’idée d’une économie européenne compétitive. Il ne faut pas attaquer, mais bien plutôt soutenir les économies efficaces comme celles de la Pologne ou de la Tchéquie – pour ne pas citer la Hongrie. Il faut oublier l’idée de l’élévation au niveau européen du revenu universel sans travail. Nous n’avons pas besoin de ce nouveau socialisme, nous avons au contraire besoin d’emplois et d’une baisse générale des impôts. Il faut démanteler les règles bureaucratiques, et au lieu des politiques d’austérité il faut bien plutôt encourager les investissements et les créations d’emplois. Ce n’est pas d’austérité que l’Italie aura besoin, mais de croissance économique. Et enfin ce n’est pas aux migrants qu’il faudra donner de l’argent, mais aux familles européennes pour qu’elles assument le plus d’enfants possible.

La question est de savoir si nous pourrons corriger toutes ces erreurs dans l’année qui vient ? Je dois avouer que rien n’est moins sûr. Selon toutes les prévisions, et selon tous les chiffres sur lesquels se basent ces prévisions, l’économie européenne va au-devant de temps difficiles. La question n’est pas de savoir si ces temps viendront, mais de savoir combien ils seront difficiles. Mon sentiment personnel est qu’ils seront très difficiles. La croissance économique continuera à ralentir en Europe occidentale, et même s’enrayera ici ou là. En Allemagne, les préparatifs d’une alliance CDU-Verts, pas vraiment market-friendly, sont clairement en cours. Il s’agit tout de même de la première économie d’Europe. Nous devons donc nous préparer à ce que l’économie de nos principaux partenaires, des pays d’Europe occidentale ne progressera pas et ne croîtra pas comme nous pourrions le souhaiter. Le plus important aujourd’hui pour la Hongrie est de se fixer une nouvelle orientation pour 2020 et 2021. Cette orientation gouvernementale devra faire en sorte que lorsque la Hongrie se trouvera confrontée aux effets extérieurs néfastes elle soit capable de les minimiser et que nous soyons capables de mobiliser les ressources intérieures qui nous resteront. Nous avons pu voir, vous avez pu en voir un exemple au cours des derniers mois lorsque nous avons rendu public notre premier plan d’action pour la défense de notre économie : baisse des cotisations patronales de sécurité sociale, hausse des salaires, augmentation des dépenses de recherche-développement et de financement des universités, introduction des Bons du Trésor-Plus. Mon opinion est que si nos prévisions sur les perspectives de l’économie européenne se vérifient, nous aurons besoin d’un second plan d’action quelque part aux environs du printemps 2020. Et si les choses évoluent comme nous le pensons, nous aurons probablement besoin d’un troisième plan à l’automne 2020. Ces mesures devront toutes avoir un contenu apte à améliorer notre compétitivité. C’est la planification et l’élaboration de ce plan qui caractérisera pour l’essentiel ce qui se passera en Hongrie au cours de l’année qui vient. Et – puisque Madame la ministre Judit Varga est parmi nous – n’oublions pas non plus que nous aurons des combats à mener également sur le terrain de l’Etat de droit. Nous aurons besoin de nerfs solides. Pas pour défendre notre position – parce que cela, comme Madame la ministre l’a déjà montré, ne pose pas de problème – mais pour ne pas nous laisser aller à éclater de rire et pour ne pas vexer nos partenaires par un excès d’hilarité. C’est le plus dur. C’est pour cela qu’il nous faudra de bons nerfs et de la maîtrise de soi. Voilà tout de suite la période qui vient, où nous allons examiner avec nos amis Finlandais la situation de l’Etat de droit en Hongrie. Nous allons examiner cela avec nos amis Finlandais. La Finlande, Mesdames et Messieurs, est un Etat où il n’y a pas de Cour constitutionnelle. La protection de la constitution est assurée par une commission du Parlement spécialement constituée à cet effet. Imaginez un instant, dans l’Etat de droit hongrois, si nous disions tout d’un coup que nous supprimons la Cour constitutionnelle et que c’est la Commission de la Constitution du Parlement qui exerce le contrôle de constitutionnalité. C’est à peu près la situation en Finlande. Ou voici un autre exemple éloquent : en Finlande, l’Académie est placée sous le contrôle et la direction du ministère de l’Education. Imaginez un instant, si nous avions clos le débat sur l’Académie des Sciences hongroise en la plaçant sous le contrôle et la direction du ministre de l’Education – rassurez-vous, cher Monsieur le ministre Kásler5, ce ne sera pas le cas – mais imaginons-le un instant. Ou imaginez encore cet Etat de droit en Finlande où les juges sont nommés par le président de la République sur proposition du ministre de la Justice. Il nous faudra donc des nerfs solides pour qu’à nos amis Finlandais qui nous interrogeront sur l’Etat de droit nous ne répondions pas avec des sourires ni des rires, mais avec courtoisie et tout le respect qui leur est dû. Et puis, par-delà les absurdités européennes, il y a encore une question sérieuse et importante que nous devrons traiter, à savoir l’avenir de la participation du Fidesz, le parti gouvernemental hongrois, et du Parti chrétien-démocrate au sein du Parti populaire européen. Sur ce point, nous devons encore laisser se décanter la situation. Nous savons ce que nous voulons. Nous devons attendre que le Parti populaire européen décide à son tour quel avenir il se destine. Cette décision ne sera pas prise avant son Congrès prévu pour la fin de l’automne.

Après cela, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous dire quelques mots sur la manière dont nous interprétons ce qui se passe en Hongrie. Ce sujet – ce qui se passe en Hongrie – a bénéficié d’une abondante littérature au cours des dernières années. Il y a eu la première hirondelle – Gyula Tellér – puis rien que cette année deux études importantes ont vu le jour sur ce sujet, l’une de la plume du professeur Sárközy, l’autre de celle d’Ervin Csizmadia6, et je n’ai rien dit de l’attention et des analyses permanentes des milieux internationaux. L’interprétation internationale peut être résumée de la manière suivante : le monde doit fonctionner sur la base des démocraties libérales, principalement en Europe, ces démocraties doivent bâtir et mettre en œuvre une sorte d’internationale libérale, dont un empire libéral doit sortir. L’Union européenne n’est rien d’autre que l’incarnation de cette idée, mais du temps de l’administration démocrate les Etats-Unis réfléchissaient aussi à quelque chose de comparable à l’époque du président Obama, à l’échelle mondiale. Vu sous cet angle, il est clair que ce qui se passe en Hongrie ne correspond pas à ce schéma. C’est quelque chose d’autre. La Hongrie fait autre chose, elle donne le jour à autre chose. Oui, mais à quoi ? A cette question, l’on peut donner une réponse philosophique – nous nous y essaierons – mais aussi une réponse de politique concrète. Je choisirai maintenant cette dernière. C’est à partir de là que l’on peut comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe en Hongrie, quelle était la situation que les forces citoyennes, nationales et chrétiennes ont reçue en héritage en 2010, après avoir gagné les élections avec une majorité parlementaire des deux tiers. Cette situation peut être résumée autour des points suivants. Le premier est que la part prépondérante des charges de la Hongrie était portée par moins de la moitié de la population active. Traduit en chiffres, cela voulait dire que sur les 10 millions de Hongrois, il y en avait 3,6 millions qui travaillaient, sur lesquels 1,8 million payaient des impôts. C’étaient eux qui portaient sur leur dos les charges du pays. Il est clair que c’était là une forme longue et pénible de suicide. Je signale entre parenthèses qu’aujourd’hui 4,5 millions de Hongrois sont au travail, et que tout le monde paie des impôts. Le second problème que nous devions résoudre était que l’endettement avait lentement enseveli sous lui les individus, les familles, les entreprises, et aussi l’Etat. Nous avions hérité d’une situation d’endettement sans espoir. Nous avons constaté en 2010 que l’identité culturelle de notre communauté, de la Hongrie était en pleine décomposition. Nous avons constaté que la conscience de l’appartenance à la nation était en voie de disparition. Nous avons constaté que nos communautés d’au-delà des frontières étaient soumises à une pression assimilatrice constante, à laquelle elles n’étaient pas en mesure de résister. Et nous avons constaté que les capacités physiques préposées à la défense de notre souveraineté : la police, l’armée, étaient sclérosées. Comme Gyula Tellér l’avait écrit à l’époque, la Hongrie était en 2010 en train de se vider matériellement, spirituellement et biologiquement. Le premier ministre et le gouvernement devaient donc répondre à la question de savoir si la solution de ces problèmes hongrois était envisageable dans le cadre de la démocratie libérale ? A cette question, nous avons résolument répondu non. Ce n’était pas envisageable. Ce cadre-là ne permet pas de trouver les bonnes réponses à ces questions. Il fallait donc trouver autre chose. Nous avons déclaré qu’il faut conserver le cadre de l’économie de marché libérale qui subsistait du changement de régime libéral, qu’il faut conserver les institutions démocratiques, juridiques et politiques, mais qu’il faut modifier radicalement le mode de structuration de la société et de la communauté. En d’autres termes : démocratie oui, libéralisme non.

Et c’est alors qu’est arrivé le débat : qu’est-ce donc que cette démocratie illibérale, une démocratie chrétienne à l’ancienne ou un système basé sur la nation ? Il est peut-être utile de rappeler ici en quelques mots la différence entre le premier changement de régime, que nous avons appelé changement de régime libéral, et le second, que nous pouvons appeler changement de régime illibéral ou fondé sur la nation. Nous avons revisité et placé sur de nouvelles bases la relation qui s’établit entre la communauté et l’individu. Dans le système libéral, la société et la nation ne sont rien d’autre qu’une masse d’individus en concurrence les uns avec les autres. Ce qui les rassemble, c’est la constitution et l’économie de marché. Il n’y a pas de nation, ou s’il y en a tout de même une, c’est seulement une nation politique. Je voudrais ici ouvrir une parenthèse et rendre hommage à László Sólyom7, qui a fait œuvre définitive pendant sa présidence quand il a étudié et précisé, à la fois juridiquement et philosophiquement, le concept de la nation culturelle par opposition avec la nation politique. Fin de la parenthèse. Puisque donc il n’y a pas de nation, il n’y a pas non plus de communauté, ni d’intérêt communautaire. Voilà, en gros, ce qu’est la relation entre l’individu et la société dans la conception libérale. Face à cela, la conception illibérale ou d’inspiration nationale affirme que la nation est une communauté déterminée par son histoire et sa culture, une organisation qui s’est formée au cours de l’histoire et dont les membres doivent être protégés et préparés à faire face ensemble aux défis du monde. Dans la conception libérale, la performance individuelle, ce que fait chacun, s’il vit une vie productive ou une vie improductive, est une affaire strictement personnelle et ne peut pas faire l’objet d’un jugement moral. Face à cela, dans un système d’inspiration nationale, la performance individuelle qui mérite en premier lieu la reconnaissance est celle qui sert en même temps le bien de la communauté. Il faut l’entendre au sens large. Voilà par exemple nos patineurs qui ont gagné une médaille d’or : une performance sportive d’excellence est aussi une performance individuelle qui sert en même temps le bien de la communauté. Quand nous les citons, nous ne disons pas qu’ils ont gagné une médaille d’or, mais que nous avons gagné l’or olympique : leur performance individuelle a bien clairement servi aussi les intérêts de la communauté. Dans un système illibéral ou d’inspiration nationale, la performance digne de reconnaissance n’est pas une affaire personnelle et revêt des formes bien définies. Il en est ainsi de l’auto-responsabilisation et du travail, de la capacité à créer et à subvenir à sa propre existence, de l’étude et d’un mode de vie sain, du paiement de l’impôt, de la fondation d’une famille et de l’éducation des enfants. Ou encore de la capacité à s’y retrouver dans les affaires et dans l’histoire de la nation, et de la participation à la réflexion sur le devenir de la nation. Ce sont des capacités que nous reconnaissons, que nous valorisons, que nous considérons comme de rang supérieur et que nous soutenons. Voilà en quoi ce qui est arrivé en Hongrie en matière de relation entre l’individu et la société diffère totalement de la situation qui prévalait en 1990, au moment du changement de régime libéral.

Et de la même manière, nous avons replacé sur de nouvelles bases notre réflexion et notre culture en matière de relations entre individus. Pour simplifier tout en gardant l’essentiel, dans un système libéral la règle est que tout ce qui ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui est permis. C’est la boussole de l’action individuelle. Parenthèse, petit problème : qu’est-ce qui, au bout du compte, ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui ? Quelque chose qui en général est défini par les plus forts. Mais laissons cela entre parenthèses. Au lieu de cela, ce qui se passe maintenant chez nous, ou ce que nous essayons maintenant de mettre en place, suit une autre boussole et déclare – en revenant à une vérité bien connue – que la bonne définition de la relation entre deux individus ne consiste pas à dire que tout le monde a le droit de tout faire qui ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui, mais que tu ne dois pas faire à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse à toi-même. Et même plus : ce que tu voudrais que l’on te fasse, fais-le à autrui aussi. C’est une base différente.

Et nous voici arrivés à la question politique la plus délicate et la plus sensible : le mot « illibéral ». Chaque fois que j’observe ce pitoyable et précautionneux débat, le film emblématique de notre génération, Monty Python et le Saint Graal (en hongrois : Gyalog Galopp, « galop à pied », NdT) me vient à l’esprit, où lorsque les chevaliers « chevauchent », qu’ils se trouvent dans la forêt face aux géants, il y a un mot qu’il ne faut pas prononcer. Et là ils restent figés sur place dans le film pendant des minutes entières, parce qu’il ne faut pas prononcer le mot dont tout le monde sait qu’il faudrait le prononcer. C’est ce qui se passe en politique internationale avec le mot « illibéral ». La raison en est que les libéraux, qui sont tout sauf incompétents, ont créé de toutes pièces l’interprétation à lui donner, à savoir qu’elle n’est qu’une expression dotée d’un sens privatif, une démocratie déguisée. Un système qui se déguise en démocratie, mais qui en réalité ne l’est pas. Les libéraux ont donc créé ces deux affirmations : la première, que la démocratie est nécessairement libérale, et la seconde, que la démocratie chrétienne est elle aussi nécessairement libérale. Ces affirmations sont à mon avis toutes deux erronées, car il est certain que c’est le contraire qui est vrai : la démocratie libérale n’aurait jamais pu voir le jour sans le substrat culturel chrétien, car la vraie situation – celle qui paraît invraisemblable à première vue – est celle où dans les décisions les plus importantes pour un pays, lorsqu’il s’agit de déterminer dans quelle direction il faut aller et à qui devra être confié le soin de la mise en application de la décision prise, les suffrages de deux individus – dont l’un, disons, n’a même pas son certificat d’études et l’autre est le président de l’Académie – ont la même valeur. L’un a plutôt besoin d’assistance, l’autre paie d’énormes d’impôts, et malgré cela leurs voix respectives ont la même valeur. L’un comprend le monde, l’autre ne manifeste aucun intérêt vis-à-vis du monde. Et malgré cela, leurs voix respectives ont la même valeur. Il n’est possible de créer une construction politique qui s’appelle démocratie – et qui, par voie de conséquence, est à la base de la démocratie libérale – que si l’on trouve un concept particulier qui fait en sorte que ces individus clairement différents les uns des autres soient tout de même égaux, et que l’on puisse donc prendre leur opinion en compte avec la même pondération. Et cela ne peut pas être autre chose que la proposition chrétienne, qui nous enseigne que nous avons tous été créés à l’image du Bon Dieu.

La démocratie libérale ne peut donc exister dans le monde que là où une culture chrétienne a préalablement existé. Cela est géographiquement et historiquement démontrable. L’affirmation selon laquelle toute démocratie est nécessairement libérale et que la démocratie chrétienne doit elle aussi être libérale est tout simplement fausse. La démocratie libérale n’est restée viable que tant qu’elle n’a pas abandonné ses bases chrétiennes. Elle a exercé une influence bénéfique sur l’humanité tant qu’elle a protégé la liberté individuelle et la propriété. Mais quand elle a commencé à démanteler les liens qui unissent l’homme à la vie réelle, qu’elle a mis en question l’identité de genre, qu’elle a dévalorisé l’identité confessionnelle, qu’elle a considéré comme inutile l’attachement à la nation, le contenu de la démocratie libérale s’est radicalement modifié. Et la vérité est que sur les vingt à trente dernières années, c’est cette tendance qui a marqué l’esprit public européen.

En plus de tous les débats domestiques qu’elle soulève, cette question a aussi une dimension internationale. Mon temps de parole approche de son terme, je n’ai donc pas le temps de la développer, mais je voudrais citer les mots de Ladislas le Grand, qui a dit que la Hongrie ne doit être « ni le cul de l’Ouest, ni le front de l’Est ». Des mots énigmatiques, dont nous ne savons pas avec précision ce qu’ils veulent dire mais dont nous sentons tous qu’ils sont justes. En tout état de cause, pour résumer ce qu’il faut entendre par ce qui se passe aujourd’hui en Hongrie, nous pouvons tenter, en toute modestie, l’explication suivante : un Etat illibéral a vu le jour, sur un véritable modèle de théorie politique et de théorie de l’Etat, un Etat chrétien-démocrate d’un type particulier. Après cela il n’y a plus qu’une question à laquelle je dois répondre, qui est celle de savoir pourquoi nos adversaires, les partisans de la démocratie libérale, nous haïssent à ce point ? Le fait qu’ils s’opposent à ce que nous représentons ne pose pas de problème, puisqu’ils professent une autre conviction. C’est pourquoi le fait que nous en débattions, parfois de manière vivace et exacerbée, fait partie de l’ordre naturel des débats internationaux, et même domestiques. Mais la haine ne fait pas partie de l’ordre naturel. Et nous ressentons tous que lorsque l’on nous critique et nous attaque, ce n’est pas pour débattre avec nous, mais pour nous haïr. Nous connaissons tous le vieux conseil tactique communiste consistant à accuser son adversaire de ce que l’on fait soi-même, et c’est pourquoi les libéraux prétendent que nous les haïssons avec nos sentiments nationaux, mais la réalité est exactement l’inverse, parce que nous autres sommes capables, dans une approche chrétienne, de faire la différence entre l’homme et ses actes. Nous sommes capables de ne pas aimer, et même de haïr ses actes, mais nous ne détestons ni ne haïssons l’homme. Au lieu de cela, nos adversaires ne se limitent pas à s’opposer à ce que nous faisons, mais ils nous haïssent aussi nommément.

Il est important de comprendre pourquoi il en est ainsi. Pas simplement par curiosité intellectuelle – bien que cela ait aussi son importance, parce que c’est toujours un succès de comprendre quelque chose de compliqué –, mais parce que nous en avons besoin pour savoir comment y réagir. Pour savoir ce qui fait sens quand nous nous défendons, et ce qui n’en fait pas. Je vais maintenant essayer de donner une réponse certes un peu rapide, mais d’apparence logique à la question de savoir pourquoi les libéraux nous haïssent. Posons d’abord que les opinions sur ce que devrait être un bon ordre mondial se fondent depuis plusieurs siècles sur deux concepts différents dans la culture politique européenne. L’un affirme qu’il doit y avoir dans le monde des Etats libres différenciés les uns des autres, d’une manière générale des Etats issus de nations, qu’ils doivent suivre chacun leur voie et organiser leur collaboration sur la base du principe du moindre conflit et du plus grand bien commun. L’autre affirme qu’il doit y avoir une puissance, un principe sous lequel il est possible d’unifier la multitude des peuples d’Europe, ou du monde. Un tel système est nécessaire, et ce système unificateur des peuples est toujours mis en place et maintenu par une force supérieure aux nations. Nous pouvons appeler le premier concept d’inspiration nationale, et le second d’inspiration impériale, mais je ne voudrais pas vexer les partisans de la conception impériale en utilisant le mot d’impérialisme, bien que je pourrais le faire. Ce concept selon lequel le bon ordre mondial impose que l’on range sous un seul idéal, donc sous une seule gouvernance, les peuples du monde, a longtemps été le privilège des communistes. C’était l’internationalisme socialiste, ou si vous préférez l’internationalisme communiste. Il a échoué. Si ce n’est d’autre chose, au moins du fait qu’il n’était pas un concept sensé. Sa place vide a en revanche été prise par une nouvelle orientation politique, qui n’est autre que l’orientation européenne de la politique libérale. Il vaut la peine de se rappeler qu’il y a trente ans il existait encore en Europe une démocratie socialiste, ou sociale, une démocratie chrétienne et une démocratie libérale. Mais à la suite des confrontations politiques, les libéraux ont atteint une position selon laquelle aujourd’hui tout le monde doit être démocrate libéral, la démocratie n’a pas de lecture spécifiquement socialiste – comme les partis socialistes l’avaient autrefois réalisé –, ni de lecture spécifiquement chrétienne-démocrate. Et même si quelque chose d’équivalent existe, ce quelque chose ne peut pas s’écarter substantiellement de la lecture libérale de la démocratie. Aujourd’hui par conséquent, les libéraux européens sont ceux qui estiment qu’ils ont entre les mains un argumentaire qui – ils en sont convaincus – apportera le salut, la paix et le bien-être à l’humanité tout entière. Ils tiennent entre leurs mains un modèle universel, sur lequel ils ont fondé leur argumentaire. Et c’est cet argumentaire libéral qui nous dicte aujourd’hui, dans la politique européenne, ce que l’on doit penser et comment, quelle action est correcte et doit être soutenue, ce que l’on doit rejeter, ce qui n’est pas compatible avec les idéaux libéraux, et qui nous dicte aussi ce qu’il faut penser des phénomènes les plus fondamentaux de la vie. Et aujourd’hui, nous pouvons résumer ce programme, de manière rapide et succincte, en affirmant que partout dans le monde, mais en particulier en Europe, il convient de transformer toutes les relations humaines et les rapports au sein de la société pour leur faire adopter la souplesse des relations d’affaires. Si je veux j’y vais, si je ne veux pas je n’y vais pas. Si je veux j’y entre, si je ne veux pas j’en sors. C’est ce qui permet de comprendre pourquoi les libéraux soutiennent la migration, et c’est ce qui permet de comprendre pourquoi c’est justement le réseau de George Soros qui organise la migration. Selon l’acception libérale de la liberté, l’on ne peut être libre que si l’on se libère de tout ce qui vous rattache à quelque chose : des frontières, du passé, de la langue, de la religion et des traditions. Si l’on arrive à se libérer de tout cela, si l’on arrive à en sortir, alors l’on sera un homme libre.

Cette thèse, comme il est d’usage, a produit son antithèse : c’est ce que nous appelons, c’est ce que j’appelle l’illibéralisme. Ce mode de pensée prétend que la référence à la liberté individuelle ne peut pas supplanter les intérêts de la communauté. Il y a une majorité, bien sûr, et il faut la respecter parce qu’elle est l’essence de la démocratie. L’Etat ne peut pas rester neutre face à la culture, il ne peut pas rester neutre face à la famille, et il ne peut pas rester neutre non plus face à la question de savoir quel type de population réside sur son propre territoire. En d’autres termes, les illibéraux d’aujourd’hui sont ceux qui défendent leurs frontières, qui défendent leur culture nationale et qui rejettent les ingérences extérieures et les tentatives de constructions impériales. En revenant aux Monty Python, devons-nous avoir peur de prononcer le mot ? Nous en aurions de bonnes raisons, mais je ne voudrais pas vous donner un conseil de poltronnerie. Dans des situations comme celles-là, si nous ne nous sentons pas assez forts dans le présent, il vaut toujours la peine de citer les grands anciens. Si l’on prend la peine de lire la Charte de l’Atlantique, dont les auteurs ont été Roosevelt et Churchill et dans laquelle ils ont jeté les bases de l’avenir de l’Europe, je peux affirmer qu’il s’agit d’un document illibéral pur et dur, dans lequel les Anglo-saxons affirment que tout peuple a le droit de décider de son propre sort et de choisir lui-même son gouvernement, que personne ne doit s’immiscer dans ses affaires intérieures et que ses frontières doivent être respectées. Ou en citant Robert Schuman, tenu en haute estime par les libéraux eux-mêmes en tant que fondateur de l’Europe, et qui a déclaré – je le cite – que la démocratie doit son existence au christianisme. La démocratie est née le jour où l’homme a reçu sa vocation de réaliser, dans sa vie terrestre, sa dignité personnelle dans la liberté individuelle, dans le respect de tous ses droits et dans la pratique de la fraternité universelle. Personne – tout au plus Monsieur le Pasteur – ne pourrait déclarer cela aujourd‘hui impunément au Parlement européen. Cela veut dire que les grands anciens, auxquels nous nous référons régulièrement comme les créateurs de l’idée de l’unité européenne, n’appartiendraient pas, selon la sémantique en vigueur aujourd’hui, aux démocrates libéraux, mais bien aux démocrates illibéraux. Je pense donc que nous ne devons pas avoir peur lorsque, en opposition avec l’esprit du temps, nous assumons l’édification d’un système étatique et politique illibéral.

Pour revenir à la question de savoir pourquoi les libéraux nous haïssent, je dirai ceci : puisqu’ils estiment que l’humanité est en train de dépasser son époque nationaliste, ou plus précisément d’inspiration nationale et christiano-centrée, et qu’il convient donc de piloter l’humanité vers une ère post-nationaliste et post-chrétienne, ils considèrent que pour y parvenir un modèle est nécessaire, que l’humanité a besoin d’un modèle nouveau et universel, qu’ils ont trouvé dans la démocratie libérale. Maintenant, le problème est que toute théorie de ce genre qui promeut le salut universel par la politique ne peut être forte et efficace que si elle est exclusive. La volonté universelle ne peut supporter le moindre peuple inflexible, aussi minuscule soit-il. C’est pourquoi lorsque l’idéologie du salut universel et de la paix se heurte à une résistance, elle n’y répond pas par le débat, mais par la haine. Parce que pour elle le modèle proposé à l’humanité ne peut être valable et vrai que s’il est vrai sans souffrir d’exception. C’est pour cette raison que ce « programme libéral internationaliste » ne peut être vrai que s’il est vrai pour toute nation, pour tout homme, pour toute femme, à toute époque. Cela nous renvoie à Kant, mais c’est un autre point de détail. La moindre obstination ne peut être supportée, car s’il existe une obstination, aussi maigre soit-elle, qui démontre qu’une organisation sociale différente est possible, c’est toute la théorie du salut universel qui tombe à l’eau. Et si la Hongrie, la Pologne, l’Autriche, l’Italie et la Tchéquie tiennent à leur propre manière de voir les choses, à leur attachement à la nation, c’est insupportable, c’est intolérable. Il ne faut pas seulement combattre ces gens, il faut les haïr, parce qu’ils font entrave au bien universel de l’humanité.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs – et Monsieur le Pasteur en a fait l’expérience – lorsqu’ils s’adressent à nous dans les institutions de l’Union européenne, ce n’est pas un débat qu’ils initient, mais un discours de haine gorgé de bile qu’ils déversent sur nous. Eh bien, après cela il n’y a plus qu’une question à laquelle il faut répondre : quel sera au juste l’avenir de la démocratie illibérale en Europe ? A cette question, il est évident que personne ne peut donner de réponse sûre. Mais ce que nous pouvons dire, c’est qu’aux dernières élections européennes les partis qui ont partout le mieux figuré ont été ceux sur lesquels on tirait au canon au nom de la démocratie libérale. Les plus grands succès et les plus fortes progressions ont été obtenus par les partis qui – nous pouvons le dire – se trouvaient sous le feu croisé critique de la pensée politique dominante européenne. Oublions un instant la Hongrie avec ses 53% – ce n’est pourtant pas rien – et regardons nos amis Polonais, les Tchèques, les Italiens. Ce sont eux qui ont réalisé les meilleures performances aux élections parlementaires européennes. C’est pourquoi je suis d’avis qu’il est légitime, viable et raisonnable de positionner la démocratie illibérale en antithèse de la thèse de la démocratie libérale, et ce non seulement au niveau intellectuel, mais aussi au niveau des programmes politiques. Il ne nous reste qu’à trouver la phrase ou l’expression qui donne au mot d’illibéralisme, dont la connotation est fondamentalement négative, son sens positif. Car il résulte clairement de ce que je viens de dire que ce que nous souhaitons, c’est de concentrer dans ce concept un maximum de bonnes choses. J’ai beau le tourner et le retourner, je ne peux pas en donner de meilleure définition que celle consistant à dire que la signification de la politique illibérale n’est autre que la liberté chrétienne. Mission liberty, la liberté chrétienne et la défense de la liberté chrétienne. La politique qui œuvre en faveur de la liberté chrétienne illibérale s’efforce de conserver tout ce que les libéraux négligent, oublient et méprisent.

Et pour conclure, nous avons encore à aborder la question de savoir si la culture chrétienne et la liberté chrétienne ont besoin d’être défendues ? Ma réponse est qu’aujourd’hui la liberté chrétienne fait face à deux attaques. La première, qui vient de l’intérieur, est celle des libéraux et vise à l’abandon de la culture chrétienne de l’Europe. Mais il y en a une seconde, qui vient de l’extérieur et qui se manifeste dans la migration, dont la conséquence – même si ce n’est pas son intention – est d’anéantir l’Europe telle que nous l’avons connue.

Si nous revenons maintenant, Mesdames et Messieurs, à notre point de départ, nous constatons que nous avons derrière nous trente ans, et devant nous peut-être encore quinze ans de ce programme de prime time. Si vous me demandez de quoi nous allons remplir ces quinze années, je peux répondre que ce sera la tâche de notre génération de nous opposer à l’esprit du temps libéral et à l’internationalisme libéral. Car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons renforcer la Hongrie. Ce sera un combat injustement difficile. La pente favorise nos adversaires, mais je suis convaincu que nous avons de notre côté pas tout, bien sûr, mais une bonne partie de ce que nous pouvons considérer comme beau, libre et juste, que nous pouvons résumer dans le concept de liberté chrétienne. Alors il ne reste plus qu’une question : rêvons-nous, ou pas ?

C’est la question : est-il vraiment possible, ne rêvons-nous pas, est-il possible que depuis bientôt dix ans un pays de 10 millions d’habitants dans l’Union européenne, à l’ère de la pensée dominante libérale, réussisse à s’extraire d’un monceau de dettes, à remettre en état sa souveraineté financière et économique, à croître plus vite que les démocraties libérales ? Est-il possible que ce pays réussisse à rejeter la migration, à assurer la protection de la famille, à défendre sa culture chrétienne, à proclamer l’unification et l’édification de sa nation, et à créer les conditions de la liberté chrétienne ? Est-il possible qu’il arrive à maintenir tout ce programme face à un vent contraire international sans précédent, et le conduise au succès ?

Je ne pense pas, Mesdames et Messieurs, que nous rêvions. Oui, c’est possible ! Tout comme cela a été possible dans les dix dernières années. Mais ce ne sera possible que si nous nous consacrons avec toute notre énergie à ce que nous croyons et à ce que nous voulons. Ce ne sera possible que si nous avons du courage, un esprit chevaleresque – il en faut de nos jours –, et si nous nous serrons les coudes comme le dit notre devise : « le camp est un ». Voilà ce dont il sera question sur les quinze prochaines années, et je ne peux vous encourager que par ces mots :

Vive la Hongrie, vivent les Hongrois !

(miniszterelnok.hu)