Trócsányi László igazságügyi miniszter francia nyelvű beszéde, amely az 1956-os forradalom és szabadságharc hatvanadik évfordulója alkalmából rendezett koncerttel egybekötött megemlékezésen 2016. október 26-án hangzott el Brüsszelben.
Mesdames et Messieurs,
Le 14 juillet 1789, à Versailles, François Alexandre Frédéric de la Rochefoucauld, duc de Liancourt allait éveiller le roi Louis XVI dans la nuit de ce même jour, pour lui faire part de la prise de la Bastille. Le roi lui aurait demandé:
– «Mais est-ce une révolte?»
– «Non sir, ce n’est pas une révolte, c’est une révolution» - lui aurait alors répondu le duc de Liancourt.
Le terme hongrois «forradalom», qui veut dire «révolution», est un produit linguistique du mouvement de rajeunissement de la langue hongrois aux XVIIIe–XIXe siècles. Avant cette date, les Hongrois utilisaient le terme latinisé revolúció, comme la plupart des langues d’Europe occidentale. Au Moyen Age, c’était encore un terme technique astrologique et désignait le mouvement des corps célestes autour du Soleil. Mais plus tard, surtout depuis la révolution anglaise de 1688, le mot «revolúció – révolution» est synonyme des combats poursuivis pour la liberté, le progrès, les droits de l’homme et l’indépendance nationale.
Les mots et leur signification ont également leur histoire, et cette histoire n’est pas indépendante de l’époque où nous vivons. De plus, parfois les mots eux-mêmes créent l’histoire pour la symboliser par la suite. «L’histoire n’est en fait que l’histoire de nos mots» – a dit John Lukacs, historien américain d’origine hongroise. Dans certaines conditions historiques particulières, vêtir un mot d’une signification spécifique peut être un acte courageux, la manifestation d’une prise de position morale.
En Europe, le terme «révolution» porte en général un contenu positif. La révolution est synonyme du combat que l’on engage et que l’on mène pour un ordre social plus juste, pour le progrès universel humain et social, pour les droits et la dignité des démunis et des défavorisés, ou pour l’indépendance nationale. Un tel processus s’est déclenché en Hongrie le 23 octobre 1956 et allait s’épanouir jusqu’au 4 novembre, jour quand les chars de l’Armée rouge le noie dans le sang. Il devenait évident que non seulement l’ensemble de la société, mais les classes laborieuses elles aussi rejetaient le système que les communistes imposaient. La plupart des victimes des représailles d’après 1956 étaient des ouvriers, alors que le régime se réclamait toujours d’être le défenseur de la cause de la classe ouvrière.
La révolution de 1956 a montré à l’Europe tout entière que la nation hongroise voulait appartenir à l’Europe libre et non à une alliance enfermée derrière le rideau de fer, dont la cohésion était assurée par la force et la peur. Le 56 hongrois a exprimé la révolte de la jeunesse et des ouvriers contre l’oppression totalitaire, ainsi que le choix des valeurs européennes et la revendication de la liberté et de la démocratie. 1956 – s’il fallait encore – est la preuve définitive et évidente que la nation hongroise est une nation européenne.
Mesdames et Messieurs,
Mais nous avons réussi de reprendre notre liberté en 1989. Dans cette année, la Hongrie est arrivée au bout d’un long chemin et au point de départ d’un nouveau parcours encore plus long. Cette année-là, mon pays a regagné la communauté du monde libre.
Ont été enlevés les obstacles qui avaient empêché jusqu’alors le rétablissement de l’unité de l’Europe, imaginée et réclamée par des personnalités éminentes, telles que Churchill, Adenauer, de Gaulle, De Gasperi, Otto von Habsbourg, le pape Jean-Paul II, ou le belge Paul-Henri Spaak.
«La liberté n’est pas une circonstance, mais un devoir» – a dit, en 1990, dans son discours d’ouverture Béla Varga, doyen de l’Assemblée nationale constituée le lendemain des premières élections libres. A l’époque, un des premiers devoirs du nouveau gouvernement était, sur le plan international, l’adhésion aux institutions européennes et atlantiques, entre autres à l’OTAN et à l’Union européenne. A l’Union européenne, qui elle-même a beaucoup changé, ce qui impose aujourd’hui une série de nouvelles questions. Quelle Europe préférons-nous ? Où se trouvent les limites de l’intégration ? Quel est le rôle que l’Union européenne se doit de jouer dans le monde ? Comment peut-on arrêter, ou au moins contrebalancer la perte de poids politique, économique et démographique de l’Europe dans le monde ?
La construction européenne a toujours été, est et sera marquée par des débats. La poursuite de l’intégration européenne ne peut se faire sans débat, et le débat présuppose un bon climat d’effervescence intellectuelle. Toute pensée unique est une chose dangereuse – en Europe de l’Est nous en avons appris la leçon. Rencontres, débats, amitiés... C’est ça, pour moi, l’Europe. J’en profitais largement et pratiquement tous les jours, lorsque j’avais l’honneur de servir mon pays en qualité d’ambassadeur dans votre pays, dans votre ville. Je suis fier d’avoir pu fonder l’Association des Professeurs Hongrois de Belgique.
Il s’agissait de réunir des personnalités ayant dû quitter leur pays natal, des hommes de qualité qui, tout au long de leurs carrières, ont réussi à démontrer et fructifier leur talent et leur créativité, grâce à l’hospitalité exemplaire des Belges. Je me souviens de nos nombreux débats passionnés sur le devenir de l’Europe, débats poursuivis souvent jusqu’aux heures tardives de la nuit. Je serai toujours reconnaissant qu’ils m’honoraient de leur amitié et qu’ils partageaient avec moi leurs réflexions. Ce qu’ils m’ont appris sur l’Europe, m’a beaucoup enrichi au plan intellectuel et j’ai essayé de partager ce savoir par la suite avec beaucoup de personnes. Je voudrais saisir cette occasion pour rendre hommage à la mémoire du professeur Sándor (Alexandre) Lámfalussy, économiste éminent, père de l’euro, qui nous a quitté l’année dernière. Il était probablement le réfugié hongrois le plus illustre en Belgique, lui, qui a dû quitter la Hongrie après la IIe Guerre mondiale, comme tant d’autres d’ailleurs, précédant l’exode de 56. Il était capable de servir simultanément son pays adoptif, la Belgique, l’Europe et son pays natal, la Hongrie.
J’ai essayé de rencontrer non seulement des réfugiés et des professeurs de l’émigration de 1956. La communauté hongroise de Belgique est très variée. Certains étaient venus bien avant 1956. La générosité des Belges n’était pas une chose nouvelle. Lorsque le lendemain de la Grande Guerre l’Europe était en ruines, les Belges, malgré le deuil et plus tard les vicissitudes de la crise économique mondiale, ouvraient leur coeur et leur foyer et ils recevaient, entre 1924 et 1929, près de 30 mille enfants hongrois nécessiteux pour une période de 6 à 12 mois. Certaines relations persistaient plus tard aussi. Il y avait des ouvriers hongrois qui ont travaillé dans les mines les plus profondes d’Europe, en Belgique, après la IIe Guerre mondiale.
Soixante ans après la révolution hongroise de 1956, le monde a complètement changé. Il y a 60 ans, il était bipolaire. De nos jours, certains penseurs, comme par exemple un autre grand réfugié est-européen, l’écrivain franco-bulgare Tzvetan Todorov estime que nous devons aujourd’hui relever le défi d’un nouveau désordre mondial. Il y a encore quelques décennies, les peuples, partant les individus, avaient des possibilités de circulation beaucoup plus réduites. Pourtant, certains évoquent cette époque avec nostalgie. Cela me rappelle l’histoire biblique du peuple choisi qui avait voulu retourner, à un moment donné, en Egypte, pour retrouver les conditions de sécurité garanties dans et par la captivité.
Mais la liberté n’a pas d’alternative, même si on sait que liberté va de pair avec responsabilité. C’est ce qu’on trouve exprimé dans la nouvelle Constitution hongroise, adoptée en 2011, dont le chapitre intitulé «Liberté et responsabilité» reflète une nouvelle approche juridique du droit de l’homme.
Personne n’a mieux saisi la dialectique de la liberté et de la responsabilité que le poète hongrois Attila József, vivant dans la période d’entre deux-guerres, dans la Hongrie se trouvant à l’ombre de deux puissances totalitaires : «Jöjj el, szabadság! Te szülj nekem rendet !» (Arrive, Liberté! Enfante l’ordre vrai!)
Aujourd’hui, en Europe, le ton des débats est parfois trop aigu. Certes, les débats sont nécessaires, à condition que le but ne soit pas de vaincre l’adversaire, ni forcément de le convaincre, mais de chercher ce qui unit et d’écarter ce qui sépare.
Le but, c’est de promouvoir l’unité. Nous vivons l’époque de la révolution des télécommunications digitales, de l’explosion de la communication. Une raison de plus de veiller à la qualité de la communication. Il ne suffit pas d’échanger purement et simplement de messages sur facebook ou sur twitter. L’Europe est une formule compliquée dans un monde compliqué, en pleine globalisation. Il serait absurde de nier qu’au sein de l’Union européenne il y a des problèmes, il y a des divergences de vue. La réponse à la globalisation, c’est la renaissance des identités ou la recherche de nouvelles identités. N’est-il pas légitime de supposer que les causes du BREXIT remontent essentiellement à cette crise d’identité et seulement en deuxième lieu aux problèmes économiques? On est confronté à la redéfinition des intérêts et valeurs régionaux. Sur la scène européenne, on trouve les différents groupes des Etats: les pays latins, les pays germanophones, les pays nordiques, les pays du Sud, les pays de Visegrád… Mais l’influence des Etats peut-être différente aussi en mesurant la taille d’un pays: les grands, les moyens et les petits. Et les politiciens citent de temps en temps les anciens et les nouveaux Etats Membres de l’Union européenne. Quand nous voyons les convergences des Etats, il faut veiller à ce que cela ne mène pas à la confrontation, mais à l’encouragement du dialogue. Nos intérêts et nos valeurs sont des plus différents – c’est naturel, c’est une bonne chose. Toutefois, l’unité de l’Europe est une idée et un projet qui constituent notre intérêt et notre valeur suprêmes. Si ce n’est pas le cas, l’Europe risque de retourner à ses fantômes d’entre-deux-guerres. Et c’est dire que la rêve européenne tournerait en cauchemar.
En dépit de tous nos débats, il y a quelque chose qui doit dépasser toutes les divergences de vue.
L’Europe possède l’expérience la plus riche et la plus variée sur les possibilités d’équilibrer et de développer ensemble les valeurs de la liberté, de la paix, de la justice et du bien-être. Le monde et ses habitants ont besoin de cette expérience tant en Europe qu’en dehors de l’Europe. Nous n’avons pas le droit de creuser, de cacher cette pièce d’argent – (pour rappeler une autre histoire biblique). Nous n’en avons pas le droit, tout simplement parce que plusieurs générations ont lutté pour l’obtenir, souvent au prix de leur vie. Les révolutionnaires hongrois de 1956 se sont battus non seulement pour leur pays, mais aussi pour l’Europe. Les dirigeants intellectuels de la révolution en étaient peut-être conscients, alors que les jeunes ouvriers pleins d’enthousiasme luttant sur les barricades n’en savaient probablement rien, mais ils ont fait leur devoir. Les meilleurs intellectuels occidentaux l’ont parfaitement compris. Qu’il me soit permis de citer les paroles inoubliables d’un grand Européen, né en Afrique. C’est la confession d’Albert Camus sur la révolution hongroise : «Nous aurons bien du mal à être dignes de tant de sacrifices. Mais nous devons nous y essayer, dans une Europe enfin unie, en oubliant nos querelles, en faisant justice de nos propres fautes, en multipliant nos créations et notre solidarité.
Les mérites de nos ancêtres ne nous autorisent pas de revendiquer des privilèges. Au contraire, leurs mérites doivent nous conduire à formuler deux conséquences tout-à-fait différentes. La première, c’est la responsabilité de sauvegarder leur héritage et de chercher à en être digne moralement. La seconde, c’est l’espoir. Car c’est l’espoir et non pas la misère qui a motivé les révolutionnaires hongrois – a écrit Raymond Aron au sujet du 56 hongrois.
Si il y a 60 ans, dans des conditions bien plus difficiles que celles d’aujourd’hui, nos pères et grands-pères avaient la force d’espérer que tout allait bientôt mieux, nous nous devons davantage de croire que l’Europe, la Hongrie et la Belgique seront capables de donner une réponse adéquate aux défis de notre époque.
Merci de votre attention.
(Igazságügyi Minisztérium)